Repris du site internet de Libération https://www.liberation.fr/france/2019/09/16/lettre-d-un-cycliste-a-son-cher-ami-automobiliste_1751091
Cher ami automobiliste,
On est partis sur de mauvaises bases. Ce matin de début septembre, les grands gestes courroucés que tu m’as adressés n’étaient visiblement pas une invite à aller boire un café pour discuter, au calme, du bien-fondé de la politique d’Anne Hidalgo. Mes moulinets de bras agacés en réponse n’ont sans doute pas contribué à apaiser le climat. Ta fenêtre était fermée, notre échange s’est limité à des mouvements de lèvres colériques mais inaudibles. J’essayais d’attirer ton attention sur le vélo peint en blanc au sol sur cette portion de rue, juste à l’endroit où mon Vélib et moi subissions ta colère alors que tu voulais tourner brusquement sur nous. Peut-être du haut de ton splendide SUV noir ne le voyais-tu pas. Mais figure-toi que désormais, à cet endroit comme partout dans Paris, il va falloir davantage tenir compte des cyclistes. Nous sommes donc partis sur de mauvaises bases mais ce n’est pas si grave. Ça va s’arranger. Tu vas apprendre. Et la prochaine fois, au lieu de m’engueuler, tu t’excuseras et on ira le boire, ce café (1).
Car cher ami automobiliste, j’ai une mauvaise nouvelle : il y aura une prochaine fois. Et pas forcément avec moi. Tu l’as sans doute remarqué, ils sont partout en cette rentrée, les cyclistes. Ce n’est pas nouveau bien sûr, mais ça prend des proportions dont tu as raison de t’inquiéter. Même si les frimas de l’automne auront sans doute raison de certaines résolutions de rentrée (j’espère que la mienne tiendra), on ne parle pas là d’une mode passagère de trois bobos militants que tu pourrais traiter par le mépris. C’est plutôt massif, ça touche tout le monde, ça pédale en short comme en costard. Certes, Paris ne fait que rattraper des villes pionnières en matière d’aménagements cyclistes. Mais entre la multiplication des voies dédiées et le retour des Vélib à un fonctionnement presque satisfaisant, c’est plus qu’une illusion d’optique : sur les nouveaux tronçons ouverts, la fréquentation double, parfois plus, selon les derniers chiffres de la mairie de Paris. Et pour rejoindre ces pistes, il faut qu’on partage la route. Pire, figure-toi que ces travaux qui t’agacent tant annoncent de nouveaux kilomètres de pistes. Grâce à certains tronçons, on peut rallier le centre depuis les portes de Paris en vingt-cinq minutes.
Cher ami automobiliste, ne le prends pas personnellement. Avec un peu de recul, il ne s’agit que d’un rééquilibrage de l’espace. Tout seul dans ta voiture qui ne fait souvent que quelques kilomètres en ville, tu prends au moins cinq fois la place de mon vélo. Tu fais plus de bruit. Tu pollues beaucoup plus. Et tu dépenses plus d’argent pour ça. Alors se partager davantage la surface urbaine dédiée aux déplacements ne paraît pas absurde. Tu as l’impression qu’on s’acharne sur toi ? Ce n’est pas complètement faux : le but est bien qu’il y ait moins de voitures dans Paris, ce sera bénéfique pour tout le monde. Tu es coincé dans les bouchons et tu penses que c’est ma faute ? Regarde un peu dans le rétro, les embouteillages ne sont pas apparus dans Paris avec les pistes cyclables. Et je me permets de rappeler que le bouchon est d’abord fait par ceux qui sont dedans.
Cher ami automobiliste, comme nous sommes gentils, nous avons décidé à Libération de chroniquer chaque semaine cette dynamique autour du vélo. A Paris, certes, mais aussi dans les grandes villes françaises et dans les zones moins denses. Dans les usages, dans les statistiques et dans les politiques publiques, alors que les municipales approchent. Avec des éclairages juridiques, techniques, pratiques, culturels… Et pour bien montrer notre état d’esprit, on l’a appelée «Roues cool» (2). La première est à lire ici, elle parle des droits et devoirs du cycliste.
Cher ami automobiliste, je te connais un peu, tu vas me dire que certains n’ont pas le choix, viennent de trop loin, n’ont pas de transports en commun adaptés, ne peuvent pas pratiquer le vélo pour des raisons physiques, ont des enfants à convoyer ou du matériel à transporter. Tu as parfaitement raison. Permets-moi de penser que le jour où seuls ceux qui n’ont pas le choix prendront leur voiture en ville, on aura réglé une grosse partie du problème.
(1) J’en profite pour m’excuser auprès du piéton que j’ai doublé d’un peu près l’autre soir sur les quais. Je sais que les cyclistes ne sont pas tous parfaits, et moi aussi j’apprends.
(2) Si tu es un lecteur fidèle de Libé, tu sais que ce n’est pas la première chronique vélo : en 2015, Gabriel Siméon racontait déjà cette évolution en cours dans «Pignons sur rue».